Marathon de Paris

En 2010, le marathon de Paris se déroula le 11 avril. C'est ce jour que je suis devenue marathonienne.

Les autres

Départ
Le départ - Je suis au fond de la photo, derrière l'arche alors on ne me voit pas bien. J'ai un short noir.

Les autres ont la particularité d'être nombreux. C'est vrai dans la vie, c'est encore plus vrai lors de ces courses populaires. Les autres sont plus de trente mille, et ils sont tous autour de moi. Les autres vont au même endroit que moi. Les autres sont utiles quand il fait froid, avant le départ. Tels des pingouins dans le Grand Nord, les autres et moi nous serrons pour nous réchauffer.

Mais lorsque la course a débuté, les autres paraissent vraiment trop nombreux. Il y en a partout. Parfois ils courent par deux ou trois, et forment un mur difficile à contourner. Parfois ils me doublent, et chacun de ceux-là me paraît trop nombreux.

Alors je cours beaucoup sur les trottoirs. Mais pas trop. J'avais fait une figure très élégante mais légèrement dangereuse au semi-marathon de Paris il y a un mois :

  • Prise de couloir de bus ;
  • Pied levé un centimètre en-dessous de la hauteur de muret ;
  • Roulade avant suivie immédiatement d'un saute-mouton par le coureur suivant.

Bilan : quelques égratignures et l'idée de ne pas recommencer au marathon.

Parfois, pour doubler les autres, il suffit de passer derrière les spectateurs. Les spectateurs sont une sorte d'autres qui se reconnait facilement à quelques détails :

  • Ils ne courent pas, mais ils ne s'étirent pas non plus
  • Ils ont une banderole "Allez papa" ou "Go Suzy" en main
  • Ils appellent mon prénom dès que je n'ai plus l'air en forme
  • Mais surtout, ils se postent le long de la ligne bleue. La ligne bleue, au marathon de Paris, ce n'est pas les Vosges, c'est le parcours officiel de 42km195. Mais cela, beaucoup de spectateurs ne le savent pas. Ils imaginent une démarcation nette entre les coureurs et eux. Alors ils se postent dessus, au plus près. Et les coureurs n'ont qu'une moitié de chaussée pour courir. Ou bien ils courent dans le dos des spectateurs.

Les autres coureurs courent sur la moitié de chaussée délimitée par les spectateurs. J'ai souvent couru sur l'autre.

Les autres coureurs ne se ressemblent pas. Mais ceux que l'on remarque le plus sont les originaux. J'ai fait plusieurs kilomètres à côté d'un type à belle perruque. Les spectateurs avaient un doute "C'est qui déjà ?", "Je sais !", "Vas-y Michel !", "Allez Paul !" (celui-ci sous-entendait Nareff.) Au niveau du jardin des Tuileries, donc au début de la course, j'étais à côté de Mario. Mario était souriant. Il était en bleu de travail et poussait une antique bicyclette à ses côtés. Fleurie, garnie de pots à lait. Il m'amusait bien. Puis je l'ai perdu de vue. Je l'ai retrouvé vers le trentième kilomètre et ça me faisait beaucoup moins rire, ce type qui avançait aussi bien que moi avec un tel équipage.

Les jambes

Les jambes
Les jambes - Plus il y en a, plus il y a de risques

Mes jambes m'inquiétaient un peu avant la course. La gauche a un tibia, la droite un mollet. L'inverse est vrai aussi bien sûr, mais ce sont ces deux là qui me posent problème.

De temps en temps, mon tibia gauche me joue des tours. Ça me brûle en début de course. Je souffre encore plus quand je ralentis. Dans ce cas, je connais deux solutions :

  • Abandonner pitoyablement mon entraînement et rentrer en clopinant au vestiaire ;
  • Endurer mon mal pendant une demi-heure, ensuite ça passe. Le problème de cette solution, c'est que la durée de la douleur augmente inexorablement. Autrefois, ce n'était qu'un quart d'heure.

Et côté droit, j'ai un problème de mollet. A vrai dire c'est surtout un problème esthétique. En septembre dernier j'ai voulu tester le choc cycliste sur le capot d'un voiture de mon employeur. J'ai ainsi validé plusieurs points :

  • Le capot est moelleux à souhait, je lui mets 7 étoiles au test VM-NCAP ;
  • Le cadre du vélo Décathlon est moins solide que ma jambe ;
  • Et ma fille a la tête dure. Sa conclusion à elle, c'est que les voitures blanches sont méchantes.

Me voici donc en septembre avec un cadre tordu et un hématome démentiel au mollet droit. L'hématome a fini par s'enfuir, mais il m'a laissé un creux dans le mollet, en forme de barre de vélo. Et voilà, c'est visible et j'ai peur que ça cache quelque chose, une faiblesse.

Voilà pourquoi je voudrais dire un bravo tout particulier à chacune de mes jambes : la droite, la gauche, vous avez été fantastiques toutes les deux, pas de douleurs, juste un peu de raideur dans les derniers kilomètres. Vous avez fait du bon boulot.

La tête

A quoi pense-t-on pendant 42km ? J'avais un super plan pour cet aspect : je m'étais gardé de côté des sujets de cogitation passionnants, problèmes mathématiques, raisonnements sur le respect, sur la construction de mon avenir personnel. Et je n'ai rien utilisé de tout cela. Heureusement, il s'agissait d'un bagage léger.

La tête
Voici à quoi l'on pense quand on pense qu'on est en train de penser à l'objectif et que l'on ne voudrait penser qu'à lui. Au lieu de cela, misère, je pense que j'ai déjà lu quelque part que l'on pouvait raisonnablement penser à l'idée de penser à un sujet pourtant suffisant en soi, et que l'on s'éloigne alors de la pensée originale en construisant un système plus profond. Enfin bref, pour ceux qui suivent encore, vous pouvez lire "Gödel Escher Bach" aussi.

J'ai pensé au compte-rendu que je rédigerais plus tard. J'ai ciselé de superbes phrases. Je les ai oubliées rapidement. Sachant que je les oublierais, j'ai construit également une belle prose sur le thème de l'oubli de la prose créée dans ma tête, sans possibilité de prendre des notes. Bien entendu, ces belles phrases aussi ont disparu de mon cerveau bloc-notes.

J'aime compter. Heureusement, il y a beaucoup à compter lors d'un marathon. Km6 : tiens, déjà un sixième de la distance parcouru. Km 8 : tiens, ça fait un sixième de la distance. Mais alors, au km 6 ? N'y a-t-il aucun nombre possédant deux sixièmes différents ? Non, définitivement non. Bon dans ce cas, un tiers de la distance, c'est 12 kilomètres, non ? Dix kilomètres plus un tiers de douze. Bref, j'ai rapidement compris qu'il ne fallait pas que je cherche à faire des calculs précis, à base de 42 Virgule 195.

Une autre activité a consisté à lire les enseignes des magasins. Il y avait les quartiers que je connaissais, où ce n'était pas drôle. Nous sommes passés par exemple devant le magasin où j'ai acheté ma robe de mariée. Il y avait les bars à bobos. Des noms très in, que j'aime beaucoup moins que les noms des bistrots d'Argenteuil : Le Bon Accueil, Les Quatre Chemins, Le Celtic et le restaurant "chic" La Closerie Orientale. Un peu avant d'arriver au château de Vincennes, j'ai vu le magasin Sportes. Bon signe, me dis-je, en m'informant du commerce de ce lieu. C'était des pompes funèbres.

Je me surpris enfin par moment à être entièrement fixée sur mon objectif. Mon corps et ma tête tendus vers le même but : avancer. Malheureusement, cet état ne durait pas. Je pensais alors : "Je suis entièrement tendue vers un seul but. Mon corps et ma tête en symbiose. Sauf que je pense à cet état et je me disperse. Comment ne penser qu'à avancer quand je pense que je suis en train de penser à avancer ?" Douglas, au secours !

Malheureusement, j'eus des pensées moins excitantes.

Le ventre

Martine
Beaucoup de Martine(s) sur le bord du parcours. Personnellement, mon objectif était de cacher mon dossard, quitte à montrer mes fesses.

Je dus penser à mon cher système digestif.

Une question très terre-à-terre me taraudait à propos des courses, des femmes et leurs particularités physiques. Comment font-elles, elles pourtant plus pudiques que moi en moyenne, pour satisfaire quelques besoins naturels en course ? Les hommes c'est simple : une grille de square et on en trouve quinze en train d'admirer le travail de ferronnerie, les jambes légèrement écartées. Ou bien, avant le départ, leur bouteille d'eau, après s'être vidée, se remplit miraculeusement d'un liquide de la couleur de l'Antésite. Un collègue m'avait bien dit que les femmes s'accroupissaient dans les sas de départ, mais je n'en vis aucune, ô malheur, dans le mien. Par chance, dix minutes après que les premiers, les Kénians, furent partis, alors que nous avancions encore vers la ligne de départ, je vis une paire de fesses, sur le côté. Elle m'ôta mes complexes, le temps d'une petite vidange avant départ.

Par la suite, j'observai les bords de course et constatai que les fesses de coureuses n'étaient pas difficiles à trouver, entre les voitures stationnées ou près des troncs d'arbres. Et c'est ainsi que nous pouvons revenir à mon problème gastrique. Je me suis arrêtée quatre fois sur le bord de la route. J'ai cru que je ne pourrais pas faire 100m de plus et c'est ce qui est arrivé deux fois : j'ai fait une pause à 16km, puis à 16,1. Une à 40km, puis à 40,1. Il paraît que j'ai mangé trop de légumes avant la course : c'était le pesto dans les pâtes qui était interdit ?

Le cœur

Mon cœur battait bien sûr. Son rythme était ce qu'il était. Je ne souhaite pas parler de mon cardio-fréquencemètre ici. C'est du technique, c'est utile mais ce n'est pas ce qui laisse des souvenirs.

Parfois pendant ma course je pensais à l'arrivée. J'imaginais quelque chose de prenant émotionnellement. Je me rappelais mes deux grandes réussites sportives : l'ascension de l'Aneto il y a bien longtemps et mon premier semi-marathon il n'y a qu'un an. J'étais arrivée en larmes à mon semi, une coureuse avait cru que j'étais blessée. Comment arriverais-je ce jour ? Ressentirais-je ce que j'avais senti en finissant la descente de l'Aneto ? Finir à tout prix, le plus vite possible et advienne que pourra ?

Ma gorge se serrait par moment à ces souvenirs. Mais à vrai dire, rien à voir avec la réelle arrivée. J'étouffais de larmes. Je sentais un étau qui m'empêchait de pleurer tout ce qu'il aurait fallu. Je pleurais pourtant pas mal déjà. Je ne me calmais que quelques minutes, reprenant mes larmes en chemin vers le vestiaire. Je crois que les muscles endoloris m'empêchaient de vivre physiquement ma victoire comme mon cœur me disait de la vivre. Peut-être même aurais-je couru jusqu'au vestiaire, à un kilomètre de là, s'il n'y avait pas eu tant de coureurs clopinant dans les rues, sur le même trajet que moi.

La distance et le temps

Diplôme
Mon arrivée en quelques chiffres

J'ai couru un marathon en 4h33. Un quart des coureurs est derrière moi, les trois quarts devant. Seulement deux tiers des femmes sont devant moi. Ce temps représente ce que le logiciel Softrun me prédisait comme meilleur temps possible. C'était donc mon objectif, mais je n'y croyais guère. J'avais suivi un plan d'entraînement "Finir un marathon en 4h30 ou plus - objectif principal : finir".

Bien entendu, je regardai mon temps de passage aux chronomètres officiels. Ils étaient situés tous les cinq kilomètres. Ou presque. Celui du vingtième était judicieusement remplacé par le même, 1,1 km plus loin. Bref, au cinquième kilomètre, j'eus un choc : quoi ? Cinquante minutes pour faire cinq kilomètres ? J'avais pourtant l'impression de bien courir. A mais oui, bien sûr ! Le chronomètre est calé sur le départ des premiers, vingt minutes avant le mien. Je me suis quand même fait piéger à nouveau à dix kilomètres.

Je calculais également ma vitesse d'avancement, mon temps final prévisionnel. Longtemps j'eus les meneurs d'allure de 4h15 en ligne de mire. Je les trouvais trop près de moi. Il n'était pas raisonnable que j'essaie de les suivre. Seulement voilà : je me sentais bien, je ne voulais pas ralentir. Je pensai alors au fameux mur des trente bornes. Tous les marathoniens le connaissent. Le mur des trente bornes est au marathon ce que le monstre du Loch Ness est à l'Écosse. Beaucoup l'ont vu. Je trouvai alors une formule, ma foi, plaisante, mais d'autres l'avaient sûrement trouvée avant : "Je fonce droit dans le mur des trente bornes." C'était joli, mais ça faisait aussi un peu peur. C'est pour cela que je fus bien contente de dépasser les trente kilomètres sans rien sentir de plus bizarre qu'une fatigue et une raideur qui montaient progressivement depuis déjà bien longtemps. Je fus contente d'entendre un spectateur nous annoncer "la fin de la dernière côte, ensuite, ce n'est que de la descente."

Mais que les kilomètres sont longs vers la fin. J'aimerais qu'un géographe m'explique pourquoi le mètre étalon utilisé pour mesurer les distances se dilate tant en fin de parcours. Ça ne me paraît pas très rigoureux de la part des officiels métreurs de la FFA. J'aimerais aussi qu'on me dise pourquoi le spectateur a dit que ça descendait ? Christian y croit aussi.

Fin

J'ai passé la ligne d'arrivée, mon texte ne ménageait pas le suspens. J'étais heureuse, je l'ai dit aussi. Comment conclure ce texte ? J'aimerais simplement remercier les personnes qui m'ont soutenue : Christian, qui a fait un kilomètre avec moi à la fin, et qui est déjà prêt à m'accompagner encore, à vélo, en automne ; mes collègues avec qui je cours le midi et qui m'ont accueillie avec chaleur au vestiaire et sur le parcours d'entraînement ; Koline qui a écrit des mots gentils juste avant le départ...

Bon, je vais aller pleurer encore un petit peu.

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Mis à jour le lundi 03 mai 2010.